Laissant à l'Ouest le golfe Persique, nous franchissons la ligne de montagnes qui fait à la Perse une sorte de ceinture et nous nous trouvons sur le plateau élevé qui forme cette contrée. D'immenses steppes, peu de terres propres à l'agriculture caractérisent la Perse, dont l'histoire a présenté dans tous les temps les particularités les plus remarquables. , --"

A peine la vingtième partie du territoire est mise en culture. Dans le Nord, où se trouvent les provinces les mieux arrosées, on récolte des céréales, du froment, de l'orge, du millet, du riz, de l'avoine. Le froment est excellent, mais les habitants préfèrent do beaucoup le riz, qu'ils considèrent comme la nourriture la plus délicieuse.

E n voyant, conduites par des boeufs décharnés, les petites char qui ire faisaient qu'effleurer la surface du sol, je pensais aux puissants attelages traînés par des animaux vigoureux, que j'a- vais vus creuser de profonds sillons dans ma tranquille vallée. Mais les fruits de la Perse sont exquis, et nulle part on n'en trouve de plus beaux : Des melons succulents et salubres atteignent des dimensions extraordinaires. Tous les fruits les plus estimés de la vieille Europe ont été apportés de la Perse : La et la grenade, la mûre et l'amande, la pêche et l'abricot sont originaires de, où croissent, dans les parties abritées des montagnes, d'énormes orangers et de magnifiques citronniers.

La vigne y étale toutes les richesses d'une végétation splendide, et les vins de Schiraz, d'Yerd et d'Ispahan peuvent, au dire des hommes, supporter les comparaisons avec les meilleurs du monde. On rencontre clans les forêts des antilopes et des daims, des sangliers et des ours, des léopards, des panthères, des tigres et des lions.

Des lièvres nombreux se cachent dans les vastes plaines incultes ; des bandes d'outardes courent dans les steppes ; les pigeons et les perdrix son très abondants, malgré la guerre incessante que leur font les aigles, les vautours, les faucons et les hommes.

La grande outarde connue sous le nom d'oie- ou tarde ou autruche d'Europe est un grand et magnifique oiseau, commun dans les vastes plaines de l'Asie centrale : Elle mesure plus d'un mètre de longueur et a prés de deux mètres cinquante centimètres d'envergure ; le gris cendré et le jaune roux dominent dans son plumage.

L'outarde barbue s'approche le plus possible des endroits où l'on cultive des céréales ; ce n'est pas un oiseau sédentaire ; elle ne change cependant pas régulièrement de demeure, mais elle veut un domaine très étendu, et se meut sans cesse dans un espace de plusieurs lieues. Elle s'éloigne des lieux habités, car elle sait à quel danger elle s'expose en se plaçant sous les regards do l'homme, et en se mettant à portée de ses atteintes ; elle évite également les grandes forêts où chaque buisson est un obstacle à sa marche. Il lui faut de grands espaces complètement découverts où il devient à peu près impossible de la surprendre.

A peine le jour commence-t-il à paraître, que les outardes s'éveillent ; elles se lèvent, s'étendent, battent des ailes, marchent lentement do côté et d'autre, puis elles s'envolent simultanément, les plus vieilles et les plus lourdes formant l'arrière-garde, et elles gagnent leur lieu de pâture qui est toujours éloigné do celui où elles passent la nuit.

La démarche de cet oiseau est grave lente et mesurée ; quand elle est poursuivie, sa course est si rapide qu'un chien a de la peine à l'atteindre.

Comme la cigogne, elle fait deux ou trois bonds pour prendre son élan avant de s'envoler- elle s'élève assez facilement dan l'air, glisse rapidement, le cou étendu en avant, les pattes arrière.

Dans le jeune, les outardes vivent d'insectes ; les adultes se nourrissent presque exclusivement de gains et de plantes vertes

Par sa faille et Sa beauté, ce gibier magnifique ne pouvait manquer d'exciter les convoitises de l'homme, mais il n'est pas facile de l'aborder, et cette chasse offre de nombreuses difficultéS.

Toujours sur ses gardes, toujours méfiante, l'outarde ne se laisse pas aisément tromper, et, malgré tous les moyens mis en oeuvre, on ne parvient pas souvent à s'en emparer.

En Asie, on la chasse au faucon : On sait que cette sorte de chasse, autrefois en grand honneur en France, parmi les nobles et les princes, n'est plus en usage aujourd'hui. L'art de la fauconnerie, tombé en désuétude en Europe, brille encore d'un vif éclat en Perse et dans l'Inde ter

Là, les anciennes tradition se sont conservées en partie ; et nous savons, par un voyageur du treizième siècle, ce qu'étaient la passé, les équipages de chasse de ces fastueux monarques de l'Asie, dont les modernes peuvent à peine soupçonner le

c Pendant trois mois, décembre, janvier, février, que le grand khan demeure en sa cité d'hiver, tous les seigneurs, dans un rayon de soixante journées de marche, sont tenus de l'approvisionner de sangliers, cerfs, daims, chevreuils et ours. D'ailleurs, Kublaï est lui-même un grand chasseur, et sa vénerie est superbement montée et entretenue. Il .a des léopards, des loups-cerviers et de grands lions dressés à prendre le gibier sauvage, des aigles assez forts pour chasser loups, renards, daims, chevreuils, et a qui en prennent assez souvent, " enfin des chiens qui se comptent par milliers. C'est vers le mois de mars que l'empereur commence ses grandes chasses en se dirigeant vers la mer, et il n'est pas accompagné de moins de dix mille fauconniers, de cinq cents gerfauts et d'une innombrable quantité d'autours, de faucons-pèlerins et de faucons sacrés. Pendant cette excursion, un palais portatif, dressé sur quatre éléphants accouplés et revêtu au dehors de peaux de lions et au dedans de drap d'or, suit ce roi tartare qui se complaît à toute cette pompe orientale. Il avance ainsi jusqu'au camp de Chachiri-Mondou, établi sur un cours d'eau, tributaire de l'Amour, et il dresse sa tente, qui est assez vaste pour contenir dix mille chevaliers ou barons, C'est là son salon de réception ; c'est là qu'il donne ses audiences. Quand il veut se retirer ou se livrer au sommeil, il trouve dans une autre tente une merveilleuse salle tapissée de fourrures d'hermine et de zibeline, dont chaque peau vaut deux mille besants d'or, soit environ vingt mille francs. L'empereur demeure ainsi jusqu'à Pâques, chassant grues, cygnes, lièvres, daims, chevreuils, et il revient alors vers sa capitale de Cambalue. "

Trois cents ans plus tard, un autre voyageur, Tavernier, qui demeura plusieurs années en Perse, s'exprime ainsi

" Le roi de Perse entretient plus de huit cents faucons, dressés à chasser les uns les sangliers, les ânes sauvages, les antilopes, les renards ; les autres, les grues, les hérons, les oies, les perdrix.

Pour les dresser à chasser les quadrupèdes, on prend u n animal empaillé, on lui met de la viande à la place des yeux et on la fait manger à l'oiseau. Lorsqu'il y est habitué, on met l'animal sur quatre roues, on le tire et on y fait manger le faucon. On l'attelle ensuite à un cheval, qu'on fait courir aussi rapidement que possible, pendant que le faucon mange. On dresse de la même manière des corbeaux. "

Plus tard encore, un explorateur rapportait qu'en Perse, lorsque le faucon attaquait de grands quadrupèdes, et qu'il s'était cramponné à leur tête, on accourait avec des chiens, à son secours ; et, curieux détails, il ajoutait que dans les siècles passés, on avait dressé des faucons à se précipiter sur des hommes et à leur crever les yeux ! ...

Un voyageur moderne parle des chasses au faucon auxquelles il a assisté en Perse.

" On chasse à. cheval avec des faucons et des lévriers. Une antilope est-elle lovée, elle fuit avec la rapidité du vent. On lâche les faucons et les chiens. Les premiers volent à ras du sol, atteignent l'animal, se penchent suis sa tète ; pendant ce temps, les chiens ont joint le gibier et le maintiennent. On ne lâche pas les faucons sur les vieilles antilopes mâles, car ces oiseaux se blessent facilement aux cornes. "

L'outarde chassée ainsi se défend vigoureusement à coups de bec et à coups d'ailes ; elle force quelquefois le faucon à prendre la fuite ; mais, plus souvent, les efforts réunis des oiseaux de proie, des chiens et des hommes amènent un dénouement fatal. 11 me serait difficile de compter toutes les victimes que j'ai vues tomber après une résistance désespérée.

L'art de dresser et de dompter les oiseaux de proie est né en Asie, d'où il est passé en Afrique et de là en Europe, au moment ; les croisades.

Le rapace le plus généralement employé est le faucon commun, appelé encore faucon voyageur et faucon pèlerin.

Cet oiseau, de la, grosseur d'une poule, a environ vingt centimètres d'envergure : Il vole, en rasant la surface des champ, avec une grande rapidité, pour faire lever et pour saisir les oiseaux cachés dans l'herbe et derrière les buissons : C'est peut-être le faucon dont le courage est le plus franc, le plus grand relativement à ses forces ; c'est le même que j'ai déjà vu en Afrique, chasser les jolies gazelles du désert. Il tombe 'plomb sur sa victime, la tue, la mange sur place si elle est grosse, ou l'enlève perpendiculairement si son poids n'est pas trop considérable.

Quand il descend des hauteurs, il fond sur sa proie comme s'il tombait des nues ; son apparition est toujours imprévue. Il attaque fréquemment le milan ; mais il le traite comme un lâche, le chasse devant lui, le frappe avec dédain, et ne le met presque jamais à mort.

Malgré les qualités qui distinguent le faucon, les peuples de l'Asie et en particulier ceux des Indes lui préfèrent souvent l'autour.

Le baz, comme on l'appelle, est dressé à chasser les outardes, les milans, les vautours, les canards, les hérons, les ibis, etc. A la chasse du lièvre, on garnit les pattes de l'autour de bottines de cuir, pour empêcher qu'il ne se blesse aux épines ; car le lièvre entraîne toujours l'oiseau avec lui pendant quelque temps. Celui-ci ne le tient qu'avec une serre ; de l'autre, il cherche à se cramponner aux branches, aux herbes, aux racines pour l'arrêter. Il vole droit sur sa proie, mais si elle n'est pas à une distance convenable, à cent ou deux cents brasses environ, il abandonne la chasse, revient vers le fauconnier, et se perche sur un arbre voisin, voire même sur le sol. "

L'autour des palombes, ou autour vulgaire, est un grand rapace de cinquante huit centimètres de longueur et de un mètre quinze d'envergure ; il aime les bois alternant avec les champs et les prairies ; on le rencontre néanmoins plus fréquemment dans les grandes forêts ; il est solitaire, farouche, sauvage, hardi, actif, fort et prudent. Que pourraient opposer à tant de qualités les pauvres hirondelles, si elles étaient une proie assez friande pour être constamment remarquées ? ...

Son vol est rapide et bruyant, souvent il plane et tient alors sa queue étagée ; ses mouvements sont pleins d'aisance et de sûreté ; mais à terre il est maladroit et n'avance qu'en sautillante Toujours en chasse, sa vivacité est insatiable, il est toujours affamé et a toujours soif de sang. 11 attaque tous les oiseaux, depuis l'outarde et la perdrix, jusqu'à l'hirondelle et le moineau ; il fond sur les lièvres, enlève les belettes et les écureuils. Oiseaux de toutes, sortes ou mammifères sont saisis d'effroi à sa vue, mais déjà leur sang coule sous les serres du rapace, avant qu'ils aient songé à fuir ou à se tapir contre le sol.

Même quand il n'est pas dressé, l'autour chasse les vieux lièvres avec méthode ; il s'élance sur eux, leur donne des coups do bec ; après qu'ils sont blessés et épuisés, il finit par les saisir avec ses serres et par les égorger. Souvent la chasse dure longtemps â j'ai vu un lièvre combattre ainsi avec un autour ; ils se roulaient l'un sur l'autre sans que l'oiseau de proie lâcha prise ; une autre fois, en Europe, j'ai vu un chasseur tuer d'un seul coup de fusil un lièvre et l'autour qui était perché sur lui.