LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie


VIII. -- DE BRILLANTS OISEAUX.
Le lophophore resplendissant. - L'euplocome à huppe blanche. - Les fleuves de l'Inde. - Le paon. - Description. - L'eudynamis oriental. - Un oiseau ingrat. - Le dichocère bicorne. - Captive dans un nid. - A cinquante pieds du sol. - Vigoureuse défense. - Ailes impuissantes.


Nous suivons les frontières mal définies de l'Afghanistan et du Béloutchistan, nous franchissons les monts Soliman et nous entrons dans l'Hindoustan, dans cette région immense et toujours mystérieuse de l'Inde, où une nation, une langue, une religion de la plus haute antiquité restent debout sur les débris des empires qui passent.

Parmi les nombreux oiseaux qui peuplent les contre-forts des montagnes qui descendent vers l'Afghanistan, je n'ai pu m'empêcher d'admirer un magnifique oiseau qui tient à la fois de la poule et du faisan.

Le Lophophore resplendissant est peut-être le plus beau de tous les gallinacés. Le mâle brille d'un éclat si vif, qu'il est difficile d'en donner une description. Sa tête est surmontée d'un bouquet d'épis d'or avec des nuances d'un vert métallique qui se continuent sur la gorge ; la nuque rouge-pourpre ou carmin jette des feux comme le rubis ; le bas du cou et le dos sont d'un vert de bronze à reflets d'or ; le manteau, les grandes couvertures des ailes et de la queue sont d'un vert bleuâtre passant au violet ou au vert ; quelques plumes du bas du dos sont blanches. L a partie inférieure du corps, de couleur noire, produit des reflets verts et pourpres au milieu de la poitrine ; les rémiges sont noies ; les rectrices sont brunes ; le bec est couleur de corne, les pattes sont verdâtres ; l'œil brun est entouré d'un cercle bleuâtre.

Je jetai un coup d'œil sur ma modeste livrée, mais, au lieu de me plaindre, je me demandai si les êtres les plus heureux sont ceux qui attirent le plus l'attention, ou qui excitent le plus d'attention : Ma réponse ne saurait être douteuse, et je remerciai la Providence de m'avoir placée parmi les humbles.

Depuis les premières cimes qui s'élèvent au-dessus de la plaine, jusqu'à la limite des forêts, j'ai partout rencontré le lophophore que les indigènes appellent monaul Cependant, il est assez difficile de le bien observer, tant la végétation luxuriante de ces contrées, l'enchevêtrement inextricable des lianes empêchent les regards de plonger dans l'épaisseur de la forêt. Son cri est un sifflement plaintif que l'on entend retentir à chaque instant, mais particulièrement le soir et le matin, avant le lever du soleil.

Un autre oiseau, l'euplocome à huppe blanche, se rencontra dans les mêmes parages ; moins brillant que le monacal, il est cependant fort remarquable: La tête, le cou, le manteau et la queue sont d'un bleu-noir brillant ; les plumes du croupion sont d'un blanc terne avec des ondulations noires en travers ; la huppe est blanche ; la poitrine est bleuâtre.

Moins sauvage que le monacal, l'euplocome s'approche souvent des villages, des chemins ; il fréquente aussi les jungles, et sa plaît clans les terrains autrefois cultivés et maintenant abandonnés. Très querelleur, il est souvent en lutte avec ses semblables J'ai vu, un jour, un de ces oiseaux tomber sous le coup de fusil d'un chasseur pendant qu'il se débattait dans les dernières convulsions de l'agonie, un de ses compagnons sortit du fourré et l'attaqua, avec rage, malgré la présence de l'homme.

L'Inde doit en grande partie la fertilité de son sol à la quantité de fleuves, de rivières, de ruisseaux et de torrents qui l'arrosent. On est frappé de l'aspect imposant et grandiose des principaux cours d'eaux. Précipitées d'une hauteur immense, nourries de toutes les neiges de l'Asie centrale, les rivières de l'Inde ressemblent aux plus grands fleuves d'Europe aux endroits même où elles conservent encore la marche impétueuse des torrents. La réunion de ces masses liquides produit un choc épouvantable, un combat des flots contre les flots.

Arrivées dans la plaine, elles se creusent des lits de plusieurs kilomètres de longueur : L'œil du navigateur peut à peine embrasser les deux rives couronnées de palmiers, de temples et de palais. Une brise agréable, qui suit le cours du fleuve, en agite mollement les eaux transparentes ; une force irrésistible, et pourtant insensible, entraîne rapidement les milliers de barques qui animent cette vaste et tranquille surface.

La marée entre facilement dans ces larges canaux, et force quelquefois le fleuve à rétrograder avec rapidité et violence Alors, une montagne d'eau roulant en arrière, menace les bateaux et lutte longtemps contre le fleuve qui se couvre d'écume.

Nous suivons maintenant le cours de l'Indus, le fleuve le plus anciennement connu de l'Inde et c'est non loin de ses bords que j'eus, un jour, une splendide apparition.

J'avais vu, en Europe, des paons mêlés aux autres oiseaux de basse-cour et je les avais admirés ; mais quiconque n'a pas vu le paon en liberté, ne peut se faire une idée de sa magnificence.

" Si l'empire appartenait à la beauté et non à la force, le paon suait, sans contredit, le roi des oiseaux ; il n'en est point sur qui la nature a versé ses trésors avec plus de profusion : La taille grande, le port imposant, la démarche fière, la figure noble, les proportions du corps élégantes et sveltes, tout ce qui annonce un être de distinction lui a été donné ; une aigrette mobile et légère, peinte des plus riches couleurs, orne sa tête, t l'Élève sans la charger ; son incomparable plumage semble ré unir tout ce qui flatte nos yeux dans le coloris tendre et frais des plus belles fleurs, tout ce qui les éblouit dans les reflets pétillants des

pierreries, tout ce qui les étonne dans l'éclat majestueux de l'arc-en-ciel : Non seulement la nature a réuni sur le plumage du paon toutes les couleurs du ciel et de la terre, pour en faire le chef-d'œuvre de sa magnificence, elle les a encore mêlées, assorties, nuancées, fondues de son inimitable pinceau, et en fait un tableau unique, où elles tirent de leur mélange avec des nuances plus sombres et de leurs oppositions entre elles, un nouveau lustre, et des effets de lumière si sublimes, que notre art ne peut ni les imiter ni les décrire. "

Tel apparut à mes yeux éblouis le plumage du paon dans les forêts et dans les jungles. C'est surtout perché qu'il se montre dans toute sa splendeur quand sa queue constellée de brillantes étoiles, tantôt à moitié cachée dans les feuilles, tantôt largement étalée, forme à l'arbre un ornement resplendissant.

Il est beau, en effet, ce grand oiseau quand il est excité par l'approche de sa compagne ou les secrètes influences de la saison

" Ses yeux s'animent et prennent de l'expression, son aigrette s'agite sur sa tête, et annonce l'émotion intérieure ; les longues plumes de sa queue déploient, en se relevant, leurs richesses éblouissantes ; sa tête et son cou, se renversant noblement en arrière, se dessinent avec grâce sur ce front radieux, où la lumière du soleil se joue en mille manières, se perd et se reproduit sans cesse, et semble prendre un nouvel éclat plus doux et plus moelleux, de nouvelles couleurs plus variées et plus harmonieuses ; chaque mouvement de l'oiseau produit des milliers dé nuances nouvelles, des gerbes de reflets ondoyants et fugitifs, sans cesse remplacés par d'autres reflets et d'autres nuances toujours diverses et toujours admirables. "

Les paons recherchent de préférence les forêts dont le sol est couvert de buissons épais et de hautes herbes, et où ils trouvent de l'eau en abondance ; volontiers aussi, ils fréquentent les plantations où ils peuvent suffisamment dissimuler leur présence, et où ils ont à leur portée quelques arbres isolés où ils puissent se reposer pendant la nuit.

Dans beaucoup de contrées clé l'Inde, le paon est considéré comme un oiseau sacré et inviolable ; le tuer constitue, aux yeux des indigènes, un crime impardonnable ; celui qui s'en rend coupable mérite la mort.

De véritables bandes de ces oiseaux vivent dans le voisinage de certains temples hindous ; ils sont à demi apprivoisés et reçoivent chaque jour une partie de la nourriture de la main des prêtres. Ils ne tardent pas à se rendre compte de la protection qu'on leur accorde, et ils deviennent aussi familiers que ceux qu'on élève dans les basses-cours.

La chasse des paons ne serait pas difficile, sans la présence des animaux féroces qui habitent presque toujours les lieux où ils se tiennent de préférence.

Voici l'eudynamis oriental, vulgairement coel, qui a les habitudes et les moeurs de notre coucou d'Europe. Le mâle de l'eudynamis est d'un noir verdâtre brillant ; la femelle est d'un vert foncé.

Cet oiseau habite les jardins, les bosquets, les allées, les forêts peu épaisses ; il se nourrit de fruits et préfère les figues et les bananes. Nullement craintif ; il se tient ordinairement à l'écart, reste silencieux et ne crie que lorsqu'il s'envole.

Son vol n'est pas aussi régulier que celui du coucou ; il en diffère en ce que le coel bat plus fréquemment des ailes. Vers l'époque qui correspond à notre printemps, l'eudynamis oriental devient bruyant ; on l'entend sans cesse, jusqu'au milieu de la nuit, répéter le cri qui lui a valu son nom : " Coel ! Coel ! D

La femelle de cet oiseau, presque aussi populaire aux Indes que nous le sommes en Europe, pond ses oeufs dans les nids de deux variétés de corneilles. Comme le coucou, le jeune coel est ingrat, et reconnaît l'hospitalité qu'il a reçue, en précipitant du nid ses cohabitant, dont les parents le nourrissent avec sollicitude.

" J'étais dans la véranda de mon bungalow, dit le major Davidson, quand j'entendis soudain un cri dans un bosquet, et j'accourus, pensant qu'un jeune anomalocorax était tombé du nid. A sa place, je trouvai avec étonnement un jeune eudynamis.

Je m'approchai et vis ce petit oiseau recevoir la nourriture que lui apportait une corneille ; il tremblait et battait des ailes. Un indigène m'assura que le coel est élevé et soigné par sa mère nourrice jusqu'à ce qu'il soit en état de se suffire à lui-même. "

Non moins curieux est cet oiseau qui ne confie pas à des étrangers le soin d'élever sa famille, mais qui enferme sa femelle dans le nid pour être bien certain qu'elle ne négligera pas les labeurs de la maternité.

Le dichocère bicorne est caractérisé par l'appendice, terminé par deux points qui surmontent le bec et recouvrent une grande étendue de la partie antérieure de la tête.

Le noir et le blanc dominent dans le plumage de cet oiseau, qui a plus de un mètre trente centimètres de longueur, y compris la queue, qui a près de cinquante centimètres.

Le dichocère habite les grandes forêts, sur le flanc des montagnes, et plus souvent dans les jungles épaisses où il se montre de temps en temps sur quelque arbre très élevé. Ordinairement, ces oiseaux sont silencieux, et ne font entendre que rarement une sorte de croassement bas, peu sonore ; mais lorsqu'ils sont réunis par troupes, ils poussent des cris perçants, rauques, discordants. La douleur leur arrache un cri réellement incroyable, c'est un gémissement extraordinaire, une plainte étonnante qui, répétée par les échos des bois, ne peut être comparée " qu'au braiment de l'âne. "

Le dichocère bicorne vole en battant souvent des ailes ; il ne plane qu'au moment de se poser sur un arbre ; le bruit de ses ailes s'entend de fort loin.

Il se nourrit à peu près exclusivement de fruits, qu'il recueille sur les arbres ; lorsqu'il en a détaché un, il le lance en l'air, le rattrape et l'avale.

Dès que la femelle a pondu cinq ou six œufs, le mâle l'enferme en murant avec de l'argile l'entrée du nid, et ne laissant qu'une petite ouverture par où la captive peut passer le bec ; elle reste ainsi prisonnière tout le temps de l'incubation, et le chef de la famille est activement occupé à leur apporter des fruits.

Un jour, je vis quelques indous qui, sous la direction d'un Européen, sans doute un naturaliste, étaient occupés à visiter un nid de dichocère placé dans le creux d'un tronc d'arbre presque droit et dépourvu de branches, à plus de cinquante pieds du sol.

L'entrée en était presque complètement obstruée à l'aide d'une couche épaisse d'argile ; une seule petite ouverture par laquelle la femelle pouvait passer le bec pour recevoir sa nourriture avait été ménagée. Un indigène grimpa avec beaucoup de peine jus- qu'au nid et se mit à enlever l'argile ; mais, pendant ce temps le mâle poussait de forts grognements, volait de côté et d'autre en frappant de ses ailes les ennemis qui menaçaient sa famille. Les indigènes semblaient redouter ses attaques et l'auraient mis à mort si l'Européen ne les en avait empêchés.

Lorsque l'ouverture fut suffisamment agrandie, l'homme qui avait grimpé à l'arbre introduisit le bras dans le trou ; mais il reçut un coup de bec si violent qu'il se retira précipitamment, risquant de tomber par terre.

Ce ne fut qu'après s'être entouré le bras d'un linge qu'il parvint à s'emparer de la captive: elle était dans un état affreux, paraissait misérable et pleine de saleté. Lorsqu'elle fut descendue à terre, elle sauta de côté et d'autre en menaçant les assistants de son bec ; mais elle avait perdu l'habitude de se servir de ses ailes et ne put s'envoler. Ses ailes, par suite de l'immobilité prolongée à laquelle elle avait été condamnée, semblaient avoir contracté trop de raideur pour qu'elle pût les utiliser.

Les jeunes dichocères bicornes croissent si lentement qu'ils ne sont adultes qu'à quatre ou cinq ans.

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