LES VOYAGES DUNE HIRONDELLE
(A. DUBOIS -1886)
Sommaire 1ère Partie - 2ème Partie
Tous les oiseaux de notre famille sont doués d'une grande puissance de vol ; nous pouvons traverser l'espace avec une incroyable rapidité et nous transporter en quelques jours à des distances considérables. Pendant de longs siècles, pourtant, on a cru que nous n'étions pas capables de franchir les mers, et on a débité, sur la question de savoir où nous passions l'hiver, les fables les plus bizarres. Les uns prétendaient que nous restions dans les lieux mêmes où nous étions nées ; mais, si bien cachées qu'il était impossible de nous découvrir. Les trous d'arbres ou de murailles, les cavernes situées dans les gorges des montagnes devaient probablement nous servir de retraite. D'autres, mieux avisés, affirmaient que, pendant l'hiver, nous nous enfoncions dans la vase des lacs et des étangs où nous nous engourdissions. Olaüs Magnus a raconté que, dans le pays du nord, les pêcheurs tiraient souvent dans leurs filets, avec le poisson, des groupes d'hirondelles pelotonnées, se tenant accrochées les unes aux autres. Transportés dans des lieux chauds, ces oiseaux se ré initient assez vite, et mouraient bientôt. Ceux là seuls conservaient, la vie qui se dégourdissaient insensiblement et naturellement au retour de la belle saison. Il est juste d'ajouter qu'Olails déclare n'avoir jamais été lui témoin de ce fait, qui lui a été rapporté par des personnes clignes de toute sa confiance. Mais on ne pouvait rester dans le doute, et bientôt de prétendus naturalistes vinrent attester qu'ils avaient eux-mêmes retiré du fond des eaux des hirondelles engourdies. Des naturalistes plus sérieux offrirent de payer au poids de l'or les hirondelles trouvées sous l'eau qu'on leur apporterait pendant l'hiver. Est-il bien nécessaire d'ajouter que ces savants désintéressés n'ont jamais eu l'occasion d'en payer une seule ? Cependant, il est certain que lorsque des circonstances particulières nous empêchent d'émigrer, nous pouvons supporter un assez long jeûne, et vivre pendant quelque temps, comme différents mammifères, dans une espèce de sommeil léthargique. Montbéliard dit qu'il a vu voltiger, en différents mois de l'hiver, des hirondelles de rivage, clans une des gorges des montagnes du Bugey. Mais il s'empresse d'ajouter que c'était fort près de Nantua, dans un endroit où le gazon est toujours vert et où l'hiver ressemble au printemps ... Cependant, septembre touchait à sa fin, les nuits devenaient plus fraîches : Frileuses, nous nous pressions les unes contre les autres pour nous réchauffer. Je ne puis exprimer ce qui se passait en moi ; mais il me semblait qu'un grand évènement se préparait. Les vieilles mères, qui avaient acquis le triste privilège de l'âge et de l'expérience, paraissaient plus agitées que de coutume : Elles allaient et venaient, parcouraient les différentes parties de la campagne, faisaient entendre un cri très vif qu'elles répétaient avec impatience lorsqu'on paraissait ne pas les avoir comprises. A leur voix, beaucoup de leurs compagnes se réunissaient sur un arbre ou sur une toiture, une conversation très vive s'engageait en langage d'hirondelle ; la nature des cris, les différentes inflexions de la voix marquaient les impressions diverses, les sentiments particuliers de chacune. De bruyante qu'elle était d'abord, la réunion devenait plus tranquille ; puis on se séparait pour recommencer sur un autre point le même conciliabule. Bientôt la grande nouvelle circule dans tous les rangs : Il fallait songer au départ ! ... . - Mais pourquoi partir ? Pourquoi abandonner notre tranquille vallée ? Le souffle de l'automne est encore tiède ; la nourriture est abondante. Telles étaient les réflexions des plus jeunes, de celles qui, comme moi, n'avaient pas encore fait le grand voyage. - La chaleur est encore assez douce ; les insectes sont encore nombreux ; mais, un jour, un seul jour de retard, et de furieuses rafales ébranleront vos retraites, des pluies glacées rendront la température insupportable ; vous mourrez de froid et de faim. Pendant plusieurs jours, on nous soumit à des exercices préparatoires simulant un départ général ; on désigna celles qui, plus énergiques et mieux douées, seraient mises en première ligne, celles qui, plus faibles, seraient placées au centre pour être soutenues et encouragées. La journée du 7 octobre fut particulièrement animée ; on prit toutes les dispositions et on fit les derniers préparatifs. Les chefs s'assurèrent que toutes les hirondelles des environs avaient été averties. Le soir, il y eut sur l'église, sur le clocher et sur la toiture d'une maison voisine, indiquée comme lieu de rendez-vous, une sorte de réunion plénière ; un cri général, cri d'assentiment unanime répondit aux sages propositions qui venaient d'être faites : Le départ était décidé ! ... . A ce cri succéda un profond silence ; toutes ensemble nous nous élevâmes lentement dans les hautes régions de l'air. En ce moment, j'aperçus à une lucarne la tête de l'ami qui m'avait sauvé des griffes du chat et qui m'avait si souvent caressée dans mon nid : Je m'approchai pour lui dire adieu, sans interrompre mon vol, et le bout de mon aile effleura ses cheveux ; je reviendrai, lui " Ceux qui, de nos hivers redoutant 1e courroux, " Vont se réfugier dans les climats plus doux, " Ne laisseront jamais la saison rigoureuse " Surprendre parmi nous leur troupe paresseuse. " Dans un sage conseil, par le chef assemblé, " Du départ général le grand jour est réglé ; " Il arrive, tout part : le plus jeune peut-être " Demande, en regardant les lieux qui l'ont vu naître, " Quand viendra ce printemps par qui tant d'exilés " Dans les champs paternels se verront rappelés. " Après avoir tournoyé quelques instants pour s'orienter, les chefs prirent la direction du sud-est, suivis de toute la colonne. Aucun incident ne marqua cette première partie de notre voyage : Quatre ou cinq heures suffirent pour nous conduire au pied des Cévennes. Le lendemain, par un soleil magnifique, nous franchissions la montagne ; et, nous rapprochant du sol, nous pûmes, en rasant les vignobles de l'Hérault, dépouillés de leurs récoltes, nous réconforter en butinant une foule d'insectes. Là, on nous invita de nouveau à la prudence ; on nous fit connaître que, dans le Midi, la chasse aux petits oiseaux était exercée par une foule d'individus qui les détruisaient par milliers. On nous parla d'une grotte dans laquelle on prenait, chaque année, environ 20 000 hirondelles Il faut que les ultimes soient pris de vertige et de folie pour se débarrasser de la sorte de tant d'auxiliaires dévoués, toujours prêts à leur rendre service. " Défiez-vous, nous disaient nos mères, des grands filets tendus à la surface du sol ; et, quand vous aurez franchi les Alpes, ne vous attaquez qu'aux insectes en liberté. " Les Italiens ont, en effet, une singulière façon de nous faire la guerre et de nous capturer. Ils nous chassent ou plutôt nous pêchent, au moyen d'hameçons, amorcés avec des mouches et suspendus aux fenêtres. Lorsque, dans son vol rapide, une hirondelle saisit la mouche, elle reste accrochée et pendue. Au moment de la nidification, on remplace les mouches par des plumes dont nous avons besoin pour tapisser l'intérieur de nos nids. En Grèce et dans les îles de l'Archipel, les enfants montent dans les clochers ou sur les terrasses élevées et laissent voltiger une ligne dont l'hameçon est caché sous une plume ou sous un morceau d'étoffe légère. Martinets ou hirondelles saisissent, en volant, cet appât dangereux, et demeurent pris à l'hameçon. Un naturaliste italien raconte lui-même comment, étant jeune, il faisait la chasse aux hirondelles. J'avais, dit-il, un brin de bouleau de la longueur d'un pouce ; je l'enduisais de glu, et j'y appliquais en travers une plume très légère ; puis, je montais sur le faîte d'une maison, autour de laquelle voltigeaient ces oiseaux. Là, je donnais un souffle à la plume, qui, en s'éloignant, descendait lentement, ou, plus souvent encore, s'élevait suivant l'impulsion du vent. L'hirondelle ne manquait pas d'accourir ; et, saisissant la plume avec son bec, elle engluait ses ailes et tombait à terre. Souvent, en moins d'une heure, j'en attrapais plusieurs dizaines ; mais ce qui me divertissait le plus, c'était l'étonnement des spectateurs qui, ignorant le piège, ne pouvaient concevoir comment ces oiseaux tombaient au simple attouchement d'une plume nageant dans les airs. D Malgré pièges et filets, les oiseaux de proie étaient encore ce qu'il y avait de plus dangereux pour nous dans les régions que nous allions aborder. Notre troupe suivait le rivage de la Méditerranée : Les jeunes ne pouvaient se lasser d'admirer l'immense nappe bleue de la mer, et le ciel profond du midi. La nourriture était abondante, la température plus douce qu'au départ, et les chefs, jugeant inutile de précipiter notre course en avant, prirent un peu au nord, où il nous fut permis de nous reposer sur les arènes de Nîmes et dg folâtrer quelques moments sous les arcades du pont du Gard. A peine entrée en Provence, notre colonne se trouva augmentée D'une quantité d'hirondelles de rochers, qui vinrent se joindre à nous. Ces oiseaux ont la partie supérieure du corps d'un brun clair, les ailes et la queue noirâtres, avec des taches ovales d'un blanc jaunâtre sur lés rectrices ; la gorge est blanchâtre ; la poitrine et le ventre sont d'un gris roussâtre. Leur véritable patrie est le midi de l'Europe, l'Espagne, la Grèce, l'Italie, la Provence. Il n'est pas difficile de les reconnaître au milieu des autres hirondelles, dont ils se distinguent par leur couleur grise, et par leur vol plus lent. Ils aiment à planer autour des parois rocheuses, où ils recueillent les insectes qui s'y abritent. Leurs nids, qui ressemblent beaucoup aux nôtres, sont toujours disposés sous une saillie rocheuse qui les couvre et les abrite. Les parents nourrissent encore les petits après qu'ils ont pris leur essor ; ils leur donnent à manger en volant : Les deux oiseaux volent à la rencontre l'un de l'autre, et rien n'est gracieux comme de les voir se maintenir en l'air, à la même place, jusqu'à ce que le petit ait saisi l'insecte qu'on lui présente. Après quelques heures de repos sur les grands édifices de 1VIarseille, ville de plus de 300000 âmes, dont le port peut contenir plus de 1200 vaisseaux, notre petite armée, continuant à suivre le littoral, se trouva engagée dans les gorges d'Olioules, vallon sauvage formé par des montagnes arides dont les escarpements et les profils bizarres tantôt s'élèvent en pyramides prêtes à s'écrouler, tantôt prennent la forme de vieux remparts en ruines. Puis, c'est Toulon, avec ses magnifiques navires de guerre, pourvus de machines formidables et d'engins destructeurs du plus puissant effet. Mais que font donc ces hommes qui promènent au fond de la mer un instrument en bois, en forme de croix, ayant un filet à chacune de ses branches et une grosse pierre dans son milieu. Ce sont des pêcheurs de corail ; ils se livrent là à une pêche fatigante et dangereuse. Le corail, avec lequel on fait des bracelets, des colliers, des camées, des bijoux de toutes sortes, représente assez bien un petit arbre dont le tronc branchu serait dépourvu de feuilles et de petits rameaux. Il est composé d'une substance calcaire rouge ou rose, disposée par couches, secrétée par de petits animaux qu'on appelle des polypes. Je suis une petite hirondelle curieuse ; j'observe et j'interroge pour vous faire profiter de mes voyages. Mais nous voilà à Nice, séjour délicieux, perpétuel printemps, au pied d'un amphithéâtre de collines couvertes de maisons de campagne entremêlées de bosquets d'orangers et de lauriers roses. L'immense barrière des Alpes nous sépare de l'Italie : Cette barrière nous la franchissons demain. |
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